Controverses cartographiques
Logan Lehmann
Mars 2017

Carte comparée: goo.gl/yL4E4z
Base de données: goo.gl/ZNneLe

Élections régionales 2015

On le sait, représenter l’information géographique sur une carte demande de faire des choix. Et tout choix demande un sacrifice.

Les choroplètes sont couramment utilisés lorsque les règles de sémiologie graphique l’interdisent. Dans ces cartes, il faut considérer l’unité territoriale (le plus souvent une entité administrative) comme un individu sans relation avec ses voisins, dont la position et l’échelle aident le lecteur à les relier à la réalité sans qu’on puisse tirer de conclusion sur l’ensemble de la carte. L’ensemble des informations des individus n’est plus égale à l’information de l’ensemble des individus.

Pourtant, ces cartes sont très largement acceptées et sont diffusées même par des auteurs avertis. Cela tient à leur simplicité, mais aussi au manque d’attrait des alternatives. En effet, il faudrait normalement utiliser des cercles proportionnels ou des camemberts. Mais les cartes ainsi obtenues sont souvent peu agréables à l’oeil. Elles sont donc peu intéressantes, puisque l’avantage d’une carte par rapport à une liste est qu’elle facilite l’analyse spatiale et les mécanismes d’intuition grâce à son attrait visuel.

Une carte ordinaire

Sur la carte suivante, FranceTV présente les partis en tête au premier tour dans chaque commune lors des élections régionales de 2015. C’est un sujet qui m’a semblé intéressant pour trois raisons principales.

J’ai trouvé curieux de présenter les résultats d’un premier tour sous cette forme, puisque la carte ne dit rien sur les tendances dans chacune des nouvelles régions. Elle n’en fait pas apparaître les contours alors que peu de lecteurs à l’époque y étaient habitués. Les couleurs étant assez proches, il est impossible de distinguer les différents partis au sein d’un même positionnement. En Auvergne, il est presque impossible de retrouver une commune en particulier dans l’océan de bleu clair, puisque les contours des communes ne ressortent pas. La carte est supposée interactive mais on ne peut pas cliquer sur un élément de légende pour voir le nombre de communes qu’il affecte. Ni l’article ni la carte ne font apparaître les sources et l’auteur, tout au plus la mention de la plateforme utilisée (CARTO). Esthétiquement par contre, la carte est plutôt réussie avec une complexité certaine mais néanmoins gérable pour le regard.

Quelle carte faire entre deux tours?





Wikpédia, Logan Lehmann.

On peut considérer que l’intérêt d’une carte après le premier tour est de donner la tendance nationale et au sein des régions. J’ai donc entrepris de réaliser une carte prédictive. En utilisant les résultats du premier tour, le but est de donner la répartition des sièges probable après le second tour. Je me suis concentré sur la France métropolitaine et la Corse, puisque certaines données des DROM n’étaient pas immédiatement prêtes à l’emploi et que leurs modes de scrutin comportent parfois des exceptions.

Les règles du scrutin pour les régions métropolitaines sont les suivantes:

  1. Les listes ayant recueilli moins de 5% des suffrages exprimés sont éliminées.
  2. Si une liste recueille la majorité des voix, elle reçoit un quart des sièges en prime, et les sièges restants sont distribués selon les pourcentages obtenus.
  3. En cas de deuxième tour, les listes ayant obtenu plus de 10% des voix peuvent se présenter à nouveau. Généralement, ces listes fusionnent avec les listes ayant obtenu entre 5 et 10%, ou même entre elles.
  4. La liste ayant le plus de votes au second tour se voit octroyer un quart des sièges. Les sièges restants sont répartis selon les scores.

Comme aucune liste n’a obtenu plus de la moitié des voix, il y a eu un second tour dans toutes les régions. J’ai donc fait deux hypothèses:

  1. Les votants continuent à soutenir les même noms au second tour.
  2. Les listes se regroupent par affinité pour remporter le second tour.

J’ai ensuite utilisé le fichier des résultats par région pour l’enrichir et en dériver les données qui m’intéressaient. Le fichier “bases.xlsx” contient les données dérivées des résultats. Dans l’ordre, j’ai donc:

J’ai ensuite exporté les résultats sous QGIS. J’ai simplement effectué une jointure et utilisé la fonction “Diagrammes” pour réaliser les demi-camemberts ci-dessous. Le demi-cercle représente l’assemblée d’un conseil. On obtient un demi-cercle en incluant une colonne “total” pour chaque région à laquelle on assigne une opacité nulle. Il est également possible d’afficher un histogramme à la place. Avec Illustrator, j’ai empilé les barres afin d’avoir une présentation plus compacte et plus intuitive, ci-dessous à droite.

Afin d’obtenir un rendu plus intéressant, j’ai utilisé cette seconde méthode pour réaliser la carte définitive ci-dessus. Contrairement aux cartes vues avec P. Rekacewicz, les traits sont proportionnels d’une région à l’autre. Cela permet de voir quelles régions ont le plus de sièges. On ne fait qu’une demi-entorse aux règles de la sémiologie car si la surface en couleur est bien altérée par les contours des régions, on peut toujours lire les valeurs dans l’axe perpendiculaire. Je n’ai malheureusement pas pu ajouter une légende informant du nombre de sièges car Illustrator a planté et mangé la moitié du fichier. Pour se faire une idée, il y a exactement 100 sièges en Bourgogne-Franche-Comté.



À gauche, les prédictions. À droite, les vrais résultats du second tour.

Les prédictions peuvent être comparées aux vrais résultats du second tour (feuille “Vérification”). Les deux cartes suivantes montrent la différence visuelle. La prédiction a bien fonctionné dans certaines régions, mais échoue dans les régions où le vote Front National est fort au premier tour, ce qui engendre des stratégies spécifiques. En PACA, par exemple, le retrait de Christophe Castaner permet de renforcer la droite face à l’extrême-droite. Dans certaines régions, la simplicité de ma méthode est en cause: je n’ai pas fait participer les électeurs des listes éliminées au second tour fictif.

Conclusion

Ainsi la carte que je propose n’est pas forcément supérieure à celle de FranceTV. Le rendu en traits proportionnels est assez lisible, bien que surprenant de premier abord. Cependant, même avec une méthode de prédiction mieux préparée, ma carte ne permettrait pas de deviner des dynamiques spatiales. De plus, lorsque l’on superpose les limites des régions, la carte par commune de FranceTV donne bien un indice visuel de la répartition par région. Elle est aussi plus jolie.

Références

Carte commentée:
FranceTV
https://francetelevisions.carto.com/u/francetvinfo/viz/67455052-9c5f-11e5-80b8-0e674067d321/embed_map

Mode de scrutin:
DILA, Quel est le mode de scrutin pour les élections régionales? vie-publique.fr [en ligne], 5 janvier 2016. Disponible sur http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/collectivites-territoriales/democratie-locale/quel-est-mode-scrutin-pour-elections-regionales.html
Valérie Mazuir. Les Régionales 2015, mode d’emploi. Les Échos [en ligne], 10 décembre 2015 [consulté le 1^er mars 2017]. Disponible sur
www.lesechos.fr/10/12/2015/lesechos.fr/021207976259_les-regionales-2015—mode-d-emploi.htm

Wikipédia
fr.wikipedia.org/wiki/Élection_régionale_en_France
fr.wikipedia.org/wiki/Élections_régionales_françaises_de_2015

Données:
Ministère de l’Intérieur. Elections régionales 2015 et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique – Résultats tour 1. _data.gouv.fr
_ [en ligne]. Disponible sur www.data.gouv.fr/fr/datasets/elections-regionales-2015-et-des-assemblees-de-corse-de-guyane-et-de-martinique-resultats-tour-1-1/
INSEE, Code officiel géographique au 1^er janvier 2016. 7 avril 2016 [consulté le 1^er mars 2017]. Disponible sur www.insee.fr/fr/information/2114819
IGN, Fond de carte GEOFLA Départements 2.2 [en ligne]. Disponible sur http://professionnels.ign.fr/geofla
Logan Lehmann. Prédiction des résultats du second tour des élections régionales de 2015. Mars 2017. Disponible sur jmp.sh/v/ukcVkRK1nPcNkv2GCGsk