Urbanisme aux marges: solutions
pour sortir de l’impasse
Résumé
En se basant sur l’observations des intersections urbaines, l’auteur élabore un modèle morphologique visant à augmenter la qualité de vie en ville en prévenant la dégénérescence des tissus urbains. Le modèle comporte trois composantes qui peuvent être appliquées dans leur ensemble ou séparément par des collectivités territoriales, en marge des projets d’urbanisme qui sont couteux et finalement restreints spatialement. Il peut s’envisager comme un jeu de normes à respecter par défaut.
D’après la consigne donnée par les enseignants, l’intérêt de l’exercice n’est pas de produire un propos pertinent, mais d’explorer les modes d’expression et d’écriture. Ici, le style est personnel. Le document suit une structure imitant la démarche expérimentale. J’ai volontairement laissé cette structure apparente dans les titres. J’ai également glissé un certain nombre de références (je ne les ai pas toutes retrouvées) pour montrer les faits (concrets et théoriques) sur lesquels je m’appuie mais aussi d’où je parle, c’est-à-dire quelles notions font partie de ma boîte-à-outils.
Introduction
À la suite d’une sortie de terrain, il nous a été demandé de proposer un article ayant comme point de départ l’observation d’un objet urbain vu durant la sortie. Je me suis naturellement (vu mon parcours) intéressé aux aspects physiques de l’environnement que nous avons traversé. J’ai relevé quelques bizarreries, pris quelques notes, puis j’ai réfléchi au thème de l’article que j’allais écrire. J’étais partagé, indécis. J’ai cherché du côté des ambiances, en me remémorant le trajet effectué et les différentes impressions que j’avais pu ressentir. Mon sujet était tout indiqué: la mauvaise qualité de vie dans les espaces urbains.
C’est un sujet qui me tient à cœur, car comme la qualité de vie est une notion qui enveloppe de nombreux facteurs, la concevoir oblige à prendre en compte tous les aspects du fait urbain: morphologie (matérialité, esthétique, ergonomie), économie (systèmes et flux), fonctionnalité (accès aux services, mixité).
1 Terrain
Nous sommes passés par plusieurs quartiers, dont un terrain vague, des barres d’immeubles, un pont au-dessus de la rocade, un parc et du résidentiel individuel. J’ai retracé ce parcours sur la carte suivante. Les objets urbains qui ont attiré mon attention sont signalés par des lettres. À chacun d’entre eux sont associés des mots relatifs à l’ambiance et à ma perception.
On retrouve d’abord le triangle d’herbe situé devant les immeubles à proximité de l’université. Le schéma circulatoire dont il découle parait étonnament robuste. On se demande s’il est vraiment nécessaire, surtout au vu de son inefficacité dès que le traffic augmente. Un sillon traverse l’étendue d’herbe, car pour les piétons c’est le chemin le plus court de l’université au cours Charles de Gaulle.
Ensuite, avant d’enjamber le pont au-dessus de la rocade, j’ai remarqué une parcelle inutilisée. Collée contre le grillage de l’IUT, elle ne fait partie ni du parking, ni du trottoir. Abandonnée, sa surface en terre est inégale et accueille herbes, flaques d’eau de pluie et détritus.
Après le pont, nous arrivons au pied d’un immeuble. L’avenue Fayard part à gauche vers une petite zone d’activité et des quartiers résidentiels. Il y a deux voies supplémentaires avec des terre-pleins en tous sens. Il y a aussi des feux. L’endroit donne une sensation de désorientation. La voiture est majoritaire en surface dédiée.
Enfin, à la sortie du bois de Thouars, on arrive sur l’avenue de la Marne. Si étymologiquement une avenue devrait déboucher sur quelque chose, ce n’est pas le cas ici. Ou plutôt si: elle débouche sur le bois lorsque l’on vient du cours du Général De Gaulle. En réalité, l’avenue tourne vers le nord et contourne le bois, puis rejoint l’avenue de Thouars à l’est. En face, en revanche, il y a des plots, et un épais mur en béton encadre une piste cyclable qui longe l’avenue et qui crée ici une intersection alambiquée avec elle.
Le dénominateur commun de ces objets, c’est qu’ils représentent un gâchis de place et un certain manquement à la mission d’aménagement. Le problème, pour l’habitant, pour l’usager, pour le passant, c’est la mauvaise impression qui est laissée. On pourrait bien sûr corriger ces défauts en faisant des travaux, mais il est plus intéressant de se demander quels processus sont responsables de ces formes; par quel concours de circonstances elles ont été générées. Pourquoi les grandes villes, qui ont souvent une réputation en matière d’urbanisme, n’arrivent-elle pas à maîtriser la qualité de leur tissu urbain? L’ordre, toujours fruit d’une intention et bien plus présent autour des édifices publics, laisse place à une sensation de désorientation, de minéralité superflue, d’insécurité vis-à-vis des voitures... On emploie souvent le terme de “chaos urbain” pour désigner l’origine de ce désarçonnement.
Images satellite: Bing, consulté le 4 décembre 2016
Photos: L. Lehmann
Les intersections matérialisent très bien cette sensation. Leurs caractéristiques sont étroitement liées à celles du quartier qui les entoure. Elles montrent la manière dont la ville se conçoit elle-même, s’envisage. On a tendance à penser qu’elles jouent un rôle indispensable et qu’il serait trop compliqué de les fermer le temps des travaux. C’est faux. Figées dans l’époque où elles ont été mises en place, elles cristallisent le rapport difficile entre le temps de la ville bâtie et celui de la ville vécue. Aujourd’hui, elles sont le théâtre de l’affrontement entre voiture et modes doux. Les piétons et les autres modes à propulsion humaine, outre leur vulnérabilité face aux véhicules à moteur, ont ceci en commun que leur liberté de mouvement est entravée par les dispositifs classiques comme le marquage au sol, les trottoirs et les feux.
C’est donc à partir de ces intersections chaotiques que j’ai élaboré un raisonnement sur l’ordre urbain et sur les avantages qu’il procure, en particulier en termes de qualité de vie.
2 Observations
Les causes de la mauvaise qualité de vie en milieu urbain peuvent être résumées ainsi: la ville ne sait pas se renouveler. C’est de cette difficulté que germent tous les problèmes. C’est ce qui pousse la consommation d’espace, ce qui rend illisible le schéma viaire, ce qui fait s’accumuler les hangars commerciaux (les «boites à chaussures») aux entrées de ville, et qui rend impossible la cohabitation entre voitures et piétons.
Plaçons quelques éléments de contexte. La conjoncture, d’abord. Les villes accueillent de plus en plus d’habitants. Dans le même temps, les centre-villes se vident. La périphérie subit donc un fort effet d’accroissement démographique. S’y ajoute le développement des activités économiques qui ont elles aussi besoin d’espaces de plus en plus vastes. La ville déborde et se répand en tâche d’huile. Rien de bien nouveau. La majorité des villes se sont bien sûr créées par un mécanisme d’accrétion souvent considéré comme naturel, et même certaines villes bâties ex-nihilo ont par la suite gagné des faubourgs. A partir des années 80, l’urbanisation a aussi pu parfois faire des bonds pour donner une forme constellaire, une multitude de taches connectées par les infrastructures. Mais la notion de centre et de périphérie, en fait très ancienne, ne doit pas être utilisée pour décrire un gradient, mais bien une inégalité entre ceux qui commandent et ceux qui subissent. Cette notion est infondée mais largement acceptée et utilisée pour justifier des formes de segrégation spatiale. Or la ville périphérique, c’est toujours la ville. Il serait difficile de justifier un traitement différent. Aujourd’hui, la consommation exponentielle d’espace n’est plus envisageable. Autour des métropoles, le foncier est verrouillé pour stopper l’étalement. C’est une solution au symptôme mais pas au problème.
Vient ensuite le problème de l’initiative, c’est-à-dire de la volonté et de la compétence. Le statut de métropole, qui confère à un centre décisionnel unique toutes les compétences nécessaires pour se saisir des questions d’aménagement et appliquer des solutions cohérentes sur son territoire, règle la question de la gouvernance pour les grandes agglomérations. Pour autant, le problème ne s’en trouve pas résolu. La métropole continue à rayonner et à transformer ses environs. De nombreuses villes de taille plus modeste sont victimes des dynamiques qui les affectent parfois soudainement. Seul le centre des grandes villes peuvent faire l’objet de couteuses opérations d’urbanisme confiées à des cabinets d’architectes renommés. Or la plupart des urbanistes, qui rappelons-le doivent rédiger des documents d’urbanisme (et d’aménagement), ne se verront jamais confier ce type de projet. Il n’y ont pas vraiment vocation, et d’ailleurs leur outil, le PLU, est plutôt de type législatif et règlementaire. C’est bel et bien l’outil idéal pour assurer la cohérence urbaine, et on aurait tort d’attendre le lancement de grands projets pour s’en saisir et s’en servir.
3 Problématique
Dès lors, la question est simple. Face aux challenges posés par le futur, existe-t-il une solution universelle pour que les villes puissent, en se ressaisissant simplement de leur compétence d’urbanisme, échapper au sort qui leur est actuellement réservé et offrir une qualité de vie radicalement supérieure sans avoir recours à une logique de projet trop couteuse? Dans cet article, je défends un modèle qui s’affranchit des obstacles habituels pour proposer des solutions immédiatement applicables dans une optique de restructuration pérenne.
Solution
Le vrai remède consiste en l’adoption d’un nouveau modèle morphologique. L’adhésion à un modèle permet aux communes et intercommunalités d’absorber facilement les vagues démographiques et la croissance économique. Le modèle permet aussi aux villes étant sur le point d’être connectées à d’autres villes ou à une aire métropolitaine de restructurer leur tissu en vue de cette connexion. Comme il est rationnel (par définition), il permet aussi aux grandes villes de renouveler facilement leurs quartiers les moins adaptés, et surtout de le faire de manière pérenne. En associant les traits de différents types de tissus, il permet de satisfaire à la plupart des exigences d’aujourd’hui et de demain au regard du bâti et de l’espace public. Une fois en place, le nombre d’opérations d’urbanisme à réaliser est minime car il y a rétrocompatibilité. Les espaces restent pertinents et donc intégrés à la vie de la ville. Il n’y a pas de décrépitude continuelle, la qualité de vie est maintenue.
4 Limites
Avant de détailler les solutions dans leurs aspects conceptuels et concrets, il convient de présenter les limites d’application du modèle.
S’agit-il de tout uniformiser? Quelle valeur le modèle accorde-t-il à ce qui est présent? Ne s’agit-il pas d’une nouvelle idéologie de la table rase?
Il ne s’agit pas de tout détruire pour remplacer par du standard. La plupart des villes s’appuient justement sur leur qualité pittoresque pour se rendre attractives. On peut même dire que c’est une composante de la qualité de vie, puisqu’on accorde facilement de la valeur aux quartiers qui en sont pourvus. Il s’agit bien d’une rationalisation, mais pas d’une contrainte, ni d’une doctrine suivie aveuglément. L’objectif final n’est pas d’imposer une morphologie mais plutôt de permettre le renouvèlement facile des espaces en échec.
Ledit modèle n’est-il pas au fond un moyen de faire de la densité? Cette densité n’est-elle pas encore une forme de croissance qui s’ajoutera aux autres? La densité est-elle une fin en soi pour les villes?
Une ville ayant porté ce modèle à son aboutissement serait effectivement très dense, mais bâtir n’est pas une obligation. Il s’agit de mettre en place une grille d’outils, une manière de faire qui garantisse la compatibilité avec les évolutions futures. Le modèle peut s’utiliser comme un plan ou comme un jeu de normes. Réussir la densité est l’inquiétude principale des villes moyennes et grandes.
Comment le modèle peut-il rendre compte des différences culturelles? Toutes les villes ne se ressemblent pas.
C’est justement dans la diversité des formes urbaines à travers le monde que ce modèle puise son inspiration. Chaque tradition présente des éléments la fois de style et de fonctionnalité qui peuvent être repris et combinés. Les métropoles ont toutes le même fonctionnement (selon leur taille) et c’est autour de ce fonctionnement que s’articule la réflexion. Les spécificités de chacune ne sont pas gommées, et le développement d’une diversité architecturale n’est pas entravé.
5 Hypothèses
L’objectif précis du modèle est d’engendrer des structures morphologiques pérennes. Il fait plusieurs constats sur le rôle des villes. Comme elles concentrent plus de 50% de la population (en France et dans le Monde), elles sont en première ligne sur les problématiques séculaires.
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Les villes doivent se préparer à accueillir toujours plus d’habitants.
Sauf évènement majeur, les villes ne se vident pas. Elles continueront à attirer les populations dans le futur. Quelles que soient les tendances démographiques, ce flux sera ponctué par des vagues de migration (intra et internationales) de tailles variées dues à l’aléa géopolitique (conflits, changement climatique...), à l’émergence de nouvelles mobilités et à la mondialisation de la culture. Face à cette pression variable, les villes doivent aussi lutter contre les inégalités sur leur territoire.
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Les villes doivent renouer avec la nature.
Elles doivent maitriser leur impact écologique que ce soit en termes d’émissions ou d’interaction avec leur paysage. C’est pourquoi le modèle considère que l’expansion des modes de transport collectif et individuels doux se poursuivra. Il prévoit également la réduction en surface des terres agricoles grâce à la permaculture, et la réintroduction de certaines espèces animales en ville, aussi bien sauvages que d’élevage.
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Les villes doivent innover.
Elles doivent à la fois offrir les fonctions et services usuels et servir de laboratoire des modes de vie. Dans cette optique, leur morphologie doit leur permettre de servir de cadre. La ville peut en réalité accueillir la plupart des fonctions, notamment celles de commerce et d’industrie qui sont déjà en mutation.
Modèle
Penchons-nous maintenant sur la solution en elle-même. Il s’agit de rationaliser le processus de fabrication de la ville. Le modèle, en tant qu’outil, met en avant trois facettes de cette fabrication: la grille, le vide, et le plein. Le vide et le plein sont deux manières de penser l’espace qui sont utilisées ici de manière complémentaire, sans se recouvrir. La grille confère à l’ensemble une régularité simplificatrice ainsi qu’une harmonie. Chacune des préconisations exposées peut être utilisée seule ou avec d’autres.
6 La grille
Les dynamiques qui affectent la ville changent en nature et en intensité. L’utilisation d’une grille permet de réagir rationellement du point de vue de l’aménagement. L’expression désigne l’ensemble des méthodes visant à la cohérence des formes urbaines. C’est une abstraction qu’il est utile de présenter sous sa forme nue pour montrer sa logique.
C’est avant tout une normalisation des hauteurs d’étages afin d’obtenir d’une part une régularité dans les façades, vocation fondamentale de l’urbanisme, et d’autre part une compatibilité entre les bâtiments. Elle a un niveau 0 qui correspond au sol, rigoureusement à niveau sur l’ensemble du territoire urbain, sauf accidents du relief. Sont ensuite définis un sous-sol, puis un double niveau surmonté d’une dalle un peu plus épaisse, puis deux niveaux encore surmontés d’une dalle épaisse. Concernant l’espace public, la grille définit aussi l’utilisation qui est faite du sol et du sous-sol. Le sol a une épaisseur d’un mètre, ce qui laisse une place aux systèmes techniques détaillés dans les croquis ainsi qu’une marge de manoeuvre. Le maillage des transports comporte trois niveaux en fonction du poids des agents.
On pourrait nommer cette manière de procéder l’urbanisme paramétrique. Une fois la grille définie, les éléments qui composent le tissu trouvent naturellement leur place. On peut en ajouter ou en retirer de façon modulaire.
7 Le vide
7.1 Le réseau viaire
Le réseau viaire se prête volontiers au jeu de la métaphore. Sous terre, on trouve les artères de la ville. Sur terre, c’est son squelette - ou ses branches. Les parcelles cadastrales y sont rattachées. Cette structure est rarement modifiée. Une fois créées, les rues persistent. Chaque ville en hérite donc pour le meilleur et pour le pire. Durant la Reconstruction, certains villages ont pu voir leur trame modifiée par souci d’optimisation. À l’époque des Grands Ensembles, de nombreuses voies de circulation superflues et surdimensionnées ont été bâties. A l’époque des lotissements, des voies larges et biscornues se terminent en impasses ou en raquettes.
Lorsque les villes s’étalent et fusionnent, il faut faire se connecter leurs réseaux. On se retrouve alors souvent avec une route (et non une rue) dont l’aménagement a été pensé comme une entrée de ville. Terre-plein central, plantes, passage piéton protégé par des barrières, carrefour à quatre entrées et voies multiples, quand ce n’est pas un rond-point difficilement franchissable pour les piétons. De même, lorsque le système urbain (ou territorial) est modifié par l’émergence d’une nouvelle polarité, l’équilibre des flux est modifié. Les exigences changent et le réseau se retrouve inadapté.
La première étape consiste en l’identification des axes de transport. Les modes sont multiples mais tous n’ont pas besoin de desservir chaque parcelle. On peut identifier des unités à desservir en fonction du mode. Le partage du tissu urbain qui en découle est multi-scalaire. Il n’y a plus un axe principal qui s’efforce d’accueillir tous les modes, mais un axe préférentiel pour chacun d’entre eux. Les impasses peuvent être éliminées, au moins pour certaines échelles.
Ainsi, dans un quartier comme celui du Chut à Mérignac, où l’espace est découpé selon une logique intra et jamais inter-parcellaire, et où la trame viaire est pour le moins torturée, on peut appliquer ces principes pour reformer un quartier correctement desservi, donc faisant partie intégrante de la ville, accessible et de meilleure qualité pour les habitants comme pour les passants.
7.2 La rue
L’aménagement de la voirie est une question d’urbanisme de longue date. Pour toutes les villes, c’est une question fonctionnelle mais aussi d’image. Selon les objectifs, on opte dans les villes moyennes et grandes pour une piste cyclable, des éléments végétaux, des poteaux anti-parking ou, dans les petites villes, des dos-d’ânes, chicanes et autres bacs à fleurs. Ce sont des réponses apportées dans la rapidité à des besoins éphémères ou mal identifiés et qui donnent lieu à des aménagements peu pertinents et souvent problématiques, du point de vue de l’accessibilité notamment.
A l’origine comme aujourd’hui, aménager la voirie c’est en somme séparer les modes de transport. Par conséquent, la part belle est encore faite à la voiture, tandis que les piétons doivent se contenter du trottoir. On relance périodiquement des travaux en fonction des tendances: voie rapide autrefois, tram et piste cyclable aujourd’hui.
La clé est de briser cette logique et d’accepter de traiter le vide pour ce qu’il est: un espace libre. En traçant une ligne droite d’un immeuble à celui d’en face, on désigne un espace pour tous les habitants. C’est sur ce substrat que se déroule la vie urbaine. La répartition peut être modifiée au fil du temps, des besoins, des évènements, des mutations.
8 Le plein
8.1 Le sol
Le sol d’une ville est toujours sujet au changement. Les travaux qui se succèdent l’entaillent et le creusent. Chaque couche de goudron recouvre la précédente. Sous terre, des tresors archéologiques, des rues fantômes et même des rivères.
Si la rue n’a plus à recevoir d’aménagements lourds, le sol peut devenir permanent. Là aussi la normalisation peut simplifier la fabrique de l’urbain. Les réseaux techniques, qui sont déjà sous-terrains, peuvent être rendus accessibles par une galerie qui permet l’entretien sans ouvrir la rue. En surface, il faut simplement allouer une épaisseur pour les dispositifs modulaires d’aménagement de la rue.
8.2 Le bâti
La métropolisation avance à grands pas et enveloppe les villes alentours. Les quartiers sont gobés tels quels et leur configuration n’a plus aucun sens par rapport à leur nouvel emplacement et leur nouveau rôle. Il faut que les nouveaux bâtiments s’interfacent correctement avec leur environnement. L’urbaniste doit fixer les règles de gabarit et d’implantation pour les bâtiments. Il peut aussi faire figurer dans les règlements des éléments de style et de géométrie pour les façades.
Le modèle s’appuie sur la réussite des quartiers Haussmanniens pour en proposer une variante modernisée déjà en application dans certains quartiers. Toutefois, il va un peu plus loin en intégrant le principe de la maison d’artisan: logement en haut, atelier en bas. Afin de donner vie aux quartiers, il est nécessaire d’avoir en rez-de-chaussée des commerces et services. Et afin de ramener les commerces ou les industries de la périphérie vers le coeur de ville, il est également nécessaire d’offrir de grandes surfaces ou de grands volumes. Le gabarit est donc composé d’une base qui occupe toute la parcelle sur un double-niveau. Elle est surmontée de deux niveaux qui ont pour seule contrainte un toit épais pouvant recevoir des aménagements: plantations ou cultures, panneaux solaires ou photovoltaïques, simple terrasse... Ils sont surmontés d’une forme libre en retrait. La fonctionnalité du bâtiment est mixte. En conformité avec l’idée de pérennité, les espaces à l’intérieur du bâtiment peuvent être réaffectés en fonction des besoins. Polyvalente, la base demeure tandis que des modifications peuvent être apportées au-dessus.
Typiquement, dans un quartier dense, un tel bâtiment sera aménagé avec des commerces ou des industries non polluantes dans le double-niveau, des services au-dessus, puis une petite tour de logement qui utilisera le toit comme un jardin ou une terrase. La hauteur des étages étant harmonisée en conformité avec la grille, deux bâtiments adjacents érigés à des dates différentes pourront éventuellement fusionner pour augmenter les volumes disponibles.
Les hauteurs des étages sont bien conformes à la grille. Le sol permanent traverse le tout à niveau. On peut voir la rue libre et les réseaux techniques accessibles par une galerie. Le sous-sol peut être aménagé en fonction des besoins en parkings et en caves. Les toits sont utilisés au maximum.
Conclusions
Sur le modèle
Ce modèle tente de définir des règles encadrant la fabrique du tissu urbain afin que celle-ci puisse se faire de manière plus spontanée, sans requérir un suivi proche de la part de la commune et avec comme objectif final des formes urbaines offrant une bonne qualité de vie. Ses préconisations concernent ainsi principalement la morphologie, mais il pose aussi d’autres questions. L’une d’elles est celle du financement des opérations immobilières. En dehors de la logique de projet liée aux promoteurs immobiliers classiques, un nouveau mode de financement reste à trouver pour permettre une réelle flexibilité du foncier. La fabrique de la ville est aujourd’hui réservée à une poignée d’acteurs. Or, l’intérêt de fixer de bonnes règles est de pouvoir ensuite laisser la place aux initiatives. Dans l’idéal, une forme juridique permettrait à des particuliers et à des sociétés d’investissement d’unir leurs forces pour bâtir des logements durables de haute qualité qui constituraient un bon placement. Cette démocratisation de la construction permettrait la mobilisation de capitaux actuellement relégués à l’épargne.
C’est au delà du champ de cet article et de l’optique de ce modèle. La simplicité du concept de grille, l’évidence de l’impératif de mixité et le minimalisme des formes envisagées permettent au modèle d’être expliqué facilement. J’espère que les solutions concernant l’espace public (maillage viaire multiscalaire, rue libre, sol permanent) et toutes celles qui s’appuient sur le code de l’urbanisme (gabarits), qui peuvent d’ores-et-déjà être appliquées, sauront susciter l’intérêt de communes prêtes à en faire l’essai.
Sur l’exercice
Cet exercice m’a donné l’opportunité de mettre en forme des idées qui me tournaient dans la tête depuis longtemps. J’ai dû les faire mûrir et affiner ma réflexion pour lui donner un sens, et j’ai recommencé trois fois l’écriture de cet article. Comme on le voit en conclusion, ma réflexion est mêlée à d’autres problématiques et j’ai mis un certain temps à cerner mon sujet et à délimiter mon propos. Si je devais n’en garder que l’essentiel, ce serait ce qui concerne l’espace public, c’est-à-dire les idées de rue libre et sol permanent. Je pense que ce sont les deux éléments vraiment pertinents à la fois en termes de démarche (basés sur une observation réelle) et de résultat (potentiellement impactants sur la question de la qualité de vie). La réflexion sur le bâti me semble moins aboutie, ou en tout cas incomplète sans prendre en compte la question de l’investissement financier.
J’avais très peu confiance en l’intérêt de ce discours prescripteur, mais en le couchant sur papier j’ai pu faire un tri entre la diatribe et la réflexion construite. Je me suis lancé en voyant que certains urbanistes n’hésitaient pas à exprimer leur opinion quitte à proférer parfois des inepties. Certes, ce n’est pas un exemple. J’ai essayé de faire mieux mais bien sûr ce n’est qu’un travail d’étudiant. J’aimerais un jour produire un discours plus riche et plus solide sur l’encadrement rationnel de la fabrication du tissu urbain (hors projet) et sur la nécessité d’égalité du sol en ville.